La Révolution aux yeux du clergé insermenté

En France, la Révolution explose en 1789. Rappelons que la France et la Savoie sont 2 royaumes différents. En 1791, Victor-Amédée III est opposé à la Révolution. Il ouvre ses Etats aux émigrés français et refuse de recevoir l’Ambassade de la République Française.
En 1792 le Duché de Savoie et le Comté de Nice sont envahis par les armées républicaines du Général Montesquiou, et annexés à la France. Durant l’année qui suit, nombre d’émeutes et révoltes de Savoyards vont émailler l’histoire d’exécutions sanglantes pour ceux qui osent s’élever contre le mouvement révolutionnaire. On parle même de la « guerre de Thônes » en 1793, pour décrire à quel point les combats furent rudes en certains endroits, à cause de la fougue développée par certains Jacobins convaincus, pour casser l’insurrection des paysans.

La Savoie devint le département du Mont-Blanc, puis une partie forme avec Genève le département du Léman, et on assiste à la suppression des traditionnelles provinces et à la création des districts. L’Etat-civil passe aux municipalités, et le Tabellion cesse les enregistrements.

À ce moment-là, les prêtres sont sommés de faire un choix : prêter serment sur la constitution civile, ou être considérés comme « insermentés », donc rebelles, et partir en exil ou fuir. Henri Manabréa dans son ouvrage [1] dénombre 77 prêtres ayant prêté serment, contre 47 réfractaires, dont l’évêque. Et Victor Flour de Saint-Genis mentionne une liste des émigrés savoyards comportant les noms de 1030 membres du clergé savoyards en 1794 [2]. 
Après cette vue d’ensemble concernant la Savoie, prenons une loupe pour découvrir ce qu’il se passa dans les 2 villages intéressant particulièrement mes recherches : Sevrier et Vanzy.

Quand le prêtre de Sevrier choisi l’opposition et la révolte, qui le poussa à l’exil et une vie clandestine pendant plusieurs mois [3], Joseph Carrier, prêtre à Vanzy, accepta tout comme son homologue de Chessenaz, de prêter le 1er Serment et exerça le culte schismatique à Vanzy, et à Clarafond, en remplacement de Jean-Baptiste Rochet, qui lui, a préféré émigrer [4]. 
Cependant, Carrier sembla changer d’orientation quant aux motivations l’ayant poussé à prêter ce premier serment, puisqu’un an plus tard, en 1794, il refusa de prêter le second serment. Il fut donc sommé par Albitte de renoncer à ses fonctions, et fut incarcéré dans les geôles de Carouge pour avoir refuser d’abjurer sa foi. Il s’en sortir quand même sans trop de dommages, puisqu’on le retrouva en 1803 en tant que prêtre commissionné à la paroisse de Vanchy, dans l’Ain, à quelques kilomètres de Vanzy.

En explorant les registres de Saint-Jorioz à la recherche d’autres membres de cette grande famille Delétraz qui m’occupe longuement, je suis tombée dans le sein du registres des baptêmes de 1785 à 1803 [5], sur un « nota sur la Révolution Française » rédigé par le curé, qui prend l’allure d’un plaidoyer contre-révolutionnaire en nous résumant les événements ayant mené à ces serments, exils, emprisonnements et persécutions des prêtres : 

« Nota 
sur la Révolution Française

Les Français, après avoir bouleversé le gouvernement monarchique de France, après 

avoir allumé dans leur pays le feu de la guerre et d’une horrible révolution,
résolurent de la porter dans les autres contrées de l’Europe. Cette révolution a été
suscité par la fausse philosophie. Elle commença en France en 1788 & 1789.
Cette secte de faux philosophes avoient trouvé le complot de détruire le trône et

l’autel : aussi cette révolution française fut une guerre contre Dieu et son Christ, 
contre la religion, contre l’Eglise, le clergé moines et religieux, contre les Rois,
et les nobles. La secte philosophique étoit ce qu’on apelloit franc-maçons.
Les armées françaises entrèrent en Savoie le 22 septembre 1792 : cet époque fut
le commencement de nos malheurs, de la ruine de ce pays. Les troupes du Roi se 
retirèrent sur les montagnes qui séparent la Savoie du Piémont. La Savoie devint
la proie des révolutionnaires français auxquels se réunirent avec allégresse les francs-
maçons de ce pays pour propager l’impiété, l’irréligion, pour faire triompher le parti
désorganisateur.
La convention nationale, cest-à-dire le gouvernement français sous le nom de convention
nationale, composée des députés des différentes provinces auxquelles on donna le nom de 
département, faisoit des décrets contre le pouvoir légitime, contre le Roi, contre ses
ministres. A la fin de 1793, le Roi de France Louis XVI fut emprisonné ainsi
que la Reine, le Dauphin, et tous les princes et princesses qu’on put arrêter. Les autres 
s’enfuirent dans les pays étrangers. Le Roi fut guillotiné le 21 janvier 1794, crime
régicide qui sera à jamais l’opprobre de la France. Les évêques, prêtres, moines, princes
nobles, grands de l’état, tout fut obligé de sortir du royaume pour fuir la rage du 
peuple acharné contre la dynastie, la noblesse et le clergé. Le 10 août, le jour de 
Saint-Barthélémi furent des jours de carnage à Paris. On a horreur de penser,
se rapeller de tels horreurs.
Cette convention composée de philosophes ennemis de la religion, de l’Eglise, du clergé, de tout bon
ordres forma une constitution pour le clergé de France, qui portoit le nom de constitution civile
du clergé de France. Dans cette constitution, on avoit supprimé des diocèses, on avoit aggrandi les
uns, diminué les autres, sans le consentement, sans l’approbation, sans l’autorisation du Saint-Siège.
Le pape Pie VI condamna cette constitution par plusieurs bulles. On changea le nom de 
paroisse en celui de commune. Par cette constitution, le clergé, moines, religieux, religi-
-euses, tous devoient prêter serment de fidélité à cette constitution, de maintenir la liberté,
et l’égalité de… Il y eut des prêtres, des moines, qui eurent la faiblesse de le prêter.
Cependant on savoit que le Pape l’avoit défendu et on ne pouvoit le prêter sans
trahir sa religion et sa conscience. Il y eut même trois à quatre évêques qui se
laisseront ou tromper ou gagner par la clique qui avoit juré la perte de l’Eglise.
Ces évêques exercèrent sans aucune jurisdiction de Rome, ils sacrèrent quelques évêques,
ceux-ci n’eurent pas plus de pouvoir que ceux-là, cependant ils envoyèrent dans les paroisses
des prêtres assermentés qui exerçoient sans mission, sans institution canonique. Ces Mrs
formèrent l’Eglise constitutionnelle de France. Ils étoient les uns et les autres schismatiques
parce qu’ils n’avoient ni mission, ni institution, ni jurisdition canonique et que le St
Siège avoit condamné cette constitution.

Les évêques, les prêtres, moines et religieuses qui ne prêtèrent pas le serment furent proscrits

de France, ils furent obligés d’émigrer, d’aller se réfugier, chercher asyle chez les peuples voisins.
Ceux qui ne sortirent pas furent persécutés cruellement, on les poursuivoit avec fureur et 
barbarbie.

Les mêmes lois s’exécutèrent en Savoir presque d’abord après l’entrée des français au

commencement de 1794: tous les prêtres, religieux et religieuses qui refusèrent le serment
furent forcés de se retirer en Piémont, ou en Suisse, ou en Valais, ou en d’autres pays.
Déjà à la fin du mois d’avril, on ne trouvoit plus de prêtres catholiques. Un très petit nombre se
laissa aveugler au qu’il prêta serment et exerça le ministère sans mission. On
nomma un évêque intrus qui demeura à Annecy. Mais loin d’être aimé et suivit, il fut 
méprisé des braves gens, et même de la squelle jacobine (les impies, les philosophes prirent le nom
de Jacobins parce qu’ils s’assembloient à Paris dans l’Eglise de St Jacques). Cet évêque intrus
au bout de quelques années revint à resipiscence, et fut rétabli dans la communion catholique
et romaine. Cependant il resta encore quelques prêtres cachés dans les montagnes mais quand
on en soupçonnoit, on faisoit des recherches exactes et sévères. En 1794 on en fit mourir
deux ou toris à Thonon et à Cluses. Quand on en arrêtoit, on les déportoit dans des slos.
On pilla les monastères, les églises. On vendit tous les biens des religieux, les ruraux des
paroisses : on força les conseils des paroisses à assister à ces ventes.
En 1796 il vint en Savoie un représentant du peuple, ou député à la convention
qui fit prêter un serment impie aux prêtres intrus qui avoient fait le premier
serment : quelques-uns le prêterent, d’autres moins irréligieux le refusèrent et se
retirèrent dans les pays étrangers. Ce représentant fit abattre les flèches, les pyramides
des clochers, fit descendre les cloches qu’on fit fondre pour faire des canons, des
des gros sols. On fit fermer les églises, ce qui mit fin au schisme dans ce pays.
Les registres de naissance, mariages, de décès furent confiés aux maires, aux agents
municipaux. Comme officiers publics ou civils, eux seuls eurent le droit d’enregistrer
les actes de naissance, de décès et de mariage. Dans l’acte de naissance on ne faisoit
point mention de baptême, on n’en vouloit point. Les mariages étoient purement des
actes civils passés devant l’officier civil.
Monsieur de Mauguy curé de cette paroisse, au commencement de la révolution, bon et
fidel prêtre ne voulut point prêter le serment demandé par le gouvernement français.
Il se retira à Asti, en Piémont, où il mourut.
Monsieur Greffoz, vicaire de cette paroisse dans le même temps, obligé de s’expatrier
aussi, alla se réfugier en Vallais, où il resta six ou sept ans. Il revint dans cette
paroisse quand l’orage de la révolution parut se calmer.
Pendant l’absence de ces Messieurs, des prêtres plus courageux revinrent de bonne
heure des pays étrangers, pour porter les secours de la religion aux fidelles. Il y en a 
qui restèrent à peine une année dehors de leur pays.
Mr Deplante, curé de Lechaux, ne sortit point, mais il fut une victime des
révolutionnaires : pendant qu’il put se cacher à Lechaux et dans les paroisses voisines,
il administra les sacremens, surtout le baptême, à tous ceux, à tous les enfans qui lui
furent présentés. Il en a baptisé plusieurs de cette paroisse.
Monsieur Déaclard, prieur de Sevrier, se cachoit par Sevrier, par les sommités de
cette paroisse, par St Eustache, par la chapelle Blance. Il assista beaucoup les malades,
exerça le St ministère avec beaucoup de zèle, de fermeté, et de courage. Il donna
le baptême à beaucoup d’enfans de cette paroisse.
Monsieur Lacombe de Sevrier, bénéficier de la Collégiale d’Annecy, revint de très 
bonne heure aussi. Il exerça aussi le St ministère dans cette paroisse avec beaucoup de
zèle. Il a baptisé plusieurs enfans de cette paroisse. Il disoit la Ste messe dans des 
granges, devant des fours, dans des maisons particulières. Ce fut lui qui réconcilia cette
église-ci en 1796. Il fut plusieurs fois poursuivi par les satellites sanguinaires.
Monsieur Collomb, curé de St Eustache, revint assez de bonne heure aussi. Il se 
cacha dans sa paroisse. Il donna à cette paroisse tous les secours spirituels, selon le 
temps, les circonstances. Il a donné le baptême à plusieurs enfans de cette paroisse.
Monsieur Maistre, missionnaire de la Chapelle Blanche, étant revenu de bonne
heure aussi, en a baptisé plusieurs aussi.
Monsieur Girod de Thônes en a baptisé aussi.

Monsieur Francoz en a baptisé aussi.

Tous ces prêtres dont je viens de parler, et d’autres qui ont exercé le St ministère

dans cette paroisse, ont tous été fidels catholiques, ils n’ont jamais voulu prêter de
serment, ils avoient tous les pouvoirs nécessaires pour travailler au salut des âmes,
pour administrer les sacremens.
Les supérieurs ecclésiastiques de ce Diocèse avoit alors formé le Diocèse en mission.
Les prêtres qui y exerçoient le St ministère portoient le nom de missionnaire et 
non de curé ni de vicaire. Il y avoit des chefs de mission à qui s’adressoient les
ordres des supérieurs et qui les communiquoient aux autres prêtres missionnaires.
Monsieur Greffoz étant revenu, exerça dans cette paroisse les fonctions pastorales sous
le nom de missionnaire aussi. Il eut beaucoup à souffrir, beaucoup de précautions à 
prendre pour n’être pas saisi. Dans les temps orageux, il se cachoit dans des recoins où il fut
ignoré. Quand on ne le trouvoit pas, on alloit à St Eustache, ou à la Chapelle Blanche,
ou à Sevrier pour trouver un de ces Mrs qui étoient prêts à tout souffrir pour assister
les mourans, pour porter les secours de la religion aux braves gens.

Mr Greffoz étoit d’une délicate complexion, il étoit souvent souffrant après le concordat

à l’organisation des églises de France et de ce diocèse, il fut fait recteur de cette paroisse 
où il est mort.             requiescat in pace.« 

On retrouve dans ce récit les grandes étapes de l’invasion et de l’instauration du régime révolutionnaire sur la Savoie :

  • En 1793 règne sur la Savoie la « terreur d’Albitte » entraînant l’arrestation de tous les prêtres insermentés. 
  • En 1794 commence la vente des biens nationaux en Savoie, créant un sentiment de spoliation chez la population villageoise.
  • En 1796, est signé le Traité de Paris, permettant de mettre fin à l’état de guerre « latent » : le Roi de Sardaigne est contraint de reconnaître la souveraineté française sur la Savoie.
  • En 1798 a lieu l’Annexion de Genève à la France. La partie Nord du duché de Savoie est détachée du département du Mont-Blanc pour constituer avec Genève, le département du Léman. Le Roi Victor-Amédée III de Savoie quitte Turin et se réfugie en Sardaigne.
  • En 1801, grâce au Concordat, les prêtres réintègrent leurs paroisses. On assiste à la création d’un nouveau siège épiscopal à Chambéry.
  • Enfin, en 1814 commence une légère reprise d’indépendance pour le pays : le 1er Traité de Paris est signé entraînant la scission de  la Savoie en deux, Le sud et Chambéry restent français, le Nord redevient savoyard.
  • Et en 1815, le 2ème Traité de Paris permet la réintégration en totalité de la Savoie au Royaume de Piémont-Sardaigne. Les armées françaises sont chassées du territoire, les registres paroissiaux sont repris par les curés, et les notaires reprennent les insinuations au Tabellion Sarde.

C’est le début de ce qu’on nommera la « période Sarde » en Savoie.


Sources :
[1] Histoire de la Savoie – Henri Manabréa
[2] Histoire de Savoie – Victor Flour de Saint-Genis
[3] Sevrier, des origines à la Seconde Guerre mondiale. Six mille ans d’histoire rurale – Gérard Détraz
[4] Le diocèse de Genève (partie Savoie) pendant la Révolution Française – Joseph Marie Lavanchy
[5] AD74 – Saint-Jorioz – E Depot 242/GG 13 – 1785-1803 – images 34 à 36

Voir aussi E DEPOT 242/GG 14 – 1785-1793 – image 13 à 17 pour encore plus d’histoires révolutionnaires…

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